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Mesures de renforcement de la prise en charge des cancers pédiatriques

Public - Santé
13/03/2019
Dans le prolongement de l’actuel Plan cancer 2014-2019 ambitionnant de répondre aux besoins et aux attentes en la matière, la loi du 8 mars 2019 s’attache spécifiquement à la cancérologie pédiatrique. Affectation spéciale de crédits publics, participation des mineurs aux essais cliniques, congé et allocation journalière de présence parentale et droit à l’oubli sont les principales thématiques abordées par le texte.
Les mesures de la loi du 8 mars 2019 (L. n° 2019-180, 8 mars 2019, JO 10 mars) abordent deux problématiques, liées, d’une part aux débats sur la recherche en cancérologie et, d’autre part, au soutien apporté aux patients et à leurs familles.
 

1) Recherches en cancérologie pédiatrique


Stratégie décennale de lutte contre le cancer et crédits alloués à la recherche en cancérologie pédiatrique. — L’article 1er de la loi du 8 mars 2019 (précitée) modifie l’article L. 1415-2 du Code de la santé publique qui définit les missions de l’Institut national du cancer (INCa).
Aux termes du 1°A nouveau de ce texte, l’INCa est désormais en charge de proposer, en coordination avec l’ensemble des acteurs de la recherche, une stratégie décennale de lutte contre le cancer (dans la proposition initiale, il s’agissait d’un plan quinquennal). L'INCa est également chargé d’en assurer la mise en œuvre, le Conseil scientifique de l'Institut devant se prononcer sur cette stratégie et étant chargé d’en réévaluer la pertinence à mi-parcours.
Cette stratégie, qui sera arrêtée par décret, doit définir les axes de la recherche en cancérologie et l'affectation des moyens correspondants, ainsi que préciser, notamment, la part des crédits publics affectés à la recherche en cancérologie pédiatrique.

Rappelons que jusqu’ici, les problématiques spécifiques des cancers pédiatriques n’étaient pas particulièrement prises en compte et si l’INCa coordonnait la recherche dans ce domaine, rien n’était par exemple précisé quant au fléchage des financements publics à cet effet. Aussi, comme indiqué dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, la finalité du texte est la fixation d’un seuil minimal d’investissement public destiné à la recherche pédiatrique. Il ne s’agit donc pas de créer une dépense supplémentaire, « mais d’encadrer la part budgétaire accordée aux enfants dans une enveloppe globale débattue dans les lois de finances », en vue d’accélérer la recherche sur les cancers des enfants, une révision régulière du seuil permettant de répondre au plus près des besoins en recherche. Ceci, dans le prolongement des dispositions du Règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux médicaments à usage pédiatrique (Règl. (CE) n° 1901/2006, 12 déc. 2006, JOUE n° L 378/12, 27 déc.).
En outre, chaque année, le gouvernement devra remettre au Parlement, un rapport relatif à l'ensemble des financements publics alloués à la recherche sur les cancers pédiatriques. Ce rapport devra préciser les volumes financiers annuels et pluriannuels dédiés aux programmes de recherche sur les cancers de l'enfant et de l'adolescent, préciser les avancées obtenues, ainsi que les projets scientifiques engagés en la matière (L. n° 2019-180, précitée, art. 9).

Composition du conseil d’administration de l’INCa. — Sur amendements parlementaires, adoptés lors la première lecture du texte à l’Assemblée nationale, un nouvel alinéa a été ajouté à l’article L. 1415-4 du Code de la santé publique, pour modifier la composition du conseil d’administration de l’INCa, dont doivent désormais faire partie, un député et un sénateur titulaires, ainsi qu’un député et un sénateur suppléants. L’article 2 de la loi du 8 mars 2019 s’inscrit dans le prolongement de la loi du 3 août 2018 visant à garantir la présence des parlementaires dans certains organismes extérieurs au Parlement (L. n° 2018‑699, 3 août 2018, JO 5 août).
 
Participation des mineurs aux essais cliniques en cancérologie. — La réalisation d’essais cliniques sur les mineurs est spécifiquement réglementée par le Code de la santé publique. L’article 3 de la loi du 8 mars 2019, en réécrivant le début de l’article L. 1121-7 du Code de la santé publique élargit la possibilité d’y recourir (jusqu’ici, les mineurs « ne [pouvaient] » être sollicités pour se prêter à des recherches mentionnées aux 1° ou 2° de l’article L. 1121-1 « que si » ; ils peuvent désormais être sollicités, « seulement si »). La finalité recherchée est de permettre une meilleure adéquation entre les essais et l’âge du patient, au regard des spécificités des cancers pédiatriques et de leurs traitements, qui justifient la conduite de recherches propres à la pédiatrie.
Mais le texte ne modifie pas substantiellement les conditions dans lesquelles ces essais peuvent être menés : d’une part, des recherches d’une efficacité comparable ne peuvent être effectuées sur des personnes majeures ; d’autre part, soit le bénéfice escompté pour ces personnes est de nature à justifier le risque prévisible encouru, soit ces recherches se justifient au regard du bénéfice escompté pour d’autres mineurs. Dans ce cas, les risques prévisibles et les contraintes que comporte la recherche doivent présenter un caractère minimal (C. santé publ., art. L. 1121-7).

Durée des projets de recherche. — En outre, sur amendement du gouvernement, adopté en premier lecture à l’Assemblée nationale, l’article 3 de la loi du 8 mars 2019 permet de lancer des appels à projet pour une durée plus longue que celle de cinq ans actuellement prévue. L’article L. 1415-7 du Code de la santé publique prévoit désormais que l’INCa peut lancer des appels à projet en matière de recherche, non seulement d'une durée de cinq ans, mais aussi, dans des conditions définies par décret, d'une durée de huit ans.
 

2) Mesures en faveur des patients


Droit à l’oubli. — Les articles 7 et 8 de la loi du 8 mars 2019 tendent à accorder le droit à l’oubli aux personnes ayant été diagnostiquées avant l’âge de 21 ans, au lieu de 18 ans actuellement, dès cinq ans après leur rémission, contre dix ans aujourd’hui. Rappelons que le droit à l’oubli a été introduit dans la convention AERAS (s’Assurer et Emprunter avec un Risque Aggravé de Santé) en mars 2015.

Mais aujourd’hui, alors que la prise en charge dans les services de pédiatrie peut se prolonger jusqu’au 21e anniversaire du patient, les besoins en prêt et financement, que ce soit pour les études ou des projets de vie, sont souvent nécessaires pendant cette période et risquent d’être obérés par la durée de dix ans après la fin du traitement. Au regard de la prise en charge médicale, il paraît donc pertinent que les modalités du droit à l’oubli s’appliquent de la même façon à un patient de 17 ans et 11 mois, qu’à un patient de 18 ans et 1 mois. Actuellement en effet, deux anciens patients, ayant souffert d’un même cancer et guéris après un traitement de durée identique, ne seront pas pénalisés de la même manière selon que le diagnostic aura été formulé juste avant ou juste après leur dix-huitième anniversaire. La situation peut se révéler paradoxale : un mineur soigné plus longtemps qu’un jeune majeur, et pour une pathologie plus lourde, peut bénéficier d’un droit à l’oubli plus tôt que celui-ci.

Il est prévu que les signataires de la Convention AERAS (C. santé publ., art. L. 1141-2) doivent engager, au plus tard dans un délai de six mois à compter de la publication de la présente loi, une négociation sur la possibilité d'appliquer à l'ensemble des pathologies cancéreuses le délai de cinq ans prévu au quatrième alinéa de l'article L. 1141-5 du Code de la santé publique pour les pathologies cancéreuses survenues avant l'âge de dix-huit ans. En cas de carence des signataires de la convention, l'âge et les délais mentionnés au même texte pourront être fixés par décret en Conseil d'État. L'âge ne pourra être inférieur, ni les délais supérieurs, à ceux fixés au quatrième alinéa dudit article L. 1141-5 (art. 7, L. 2019-180, précitée).
Il incombera également au gouvernement de remettre au Parlement, au plus tard douze mois après la promulgation de la présente loi, un rapport relatif à l'application de la convention AERAS et à l'accès au crédit des personnes présentant un problème grave de santé, notamment celles ayant souffert d'un cancer pédiatrique. Ce rapport devra préciser notamment les possibilités d'évolution du dispositif pour une prise en compte des pathologies cancéreuses survenues avant l'âge de vingt et un ans, un accroissement des sanctions en cas de manquements à la convention et une définition d'indicateurs pérennes de résultats (art. 8, L. 2019-180, précitée).

Dans la rédaction initiale de l’article 5 de la proposition de loi, il était simplement proposé de modifier les âges au sein du quatrième alinéa de l’article L. 1141-5 du Code de la santé publique. Tout en soutenant sans réserve la proposition et en s’accordant sur la nécessité de  « gommer un "effet de seuil" qui peut s’avérer préjudiciable », cette version du texte n’a pas été adoptée. Plusieurs arguments ont pu être invoqués.
D’une part, il s’avère que la limite de 21 ans ne repose sur aucun élément rationnel ou médical, puisque la catégorie des cancers des enfants va jusqu’à 25 ans. Les auditions ont en outre révélé l’absence de données statistiques concernant les cancers survenus pour les différentes catégories d’âge et il est donc apparu nécessaire de produire ces données avant toute évolution du droit.
D’autre part, il convient de tenir compte de ce que les assureurs, qui exercent leurs activités dans un secteur concurrentiel, sont souvent des multinationales. Or la France est le seul pays à leur imposer le droit à l’oubli. S’ils estiment que la loi leur fait courir un risque en leur imposant d’assurer des malades qui ne sont peut-être pas guéris, ils augmenteront immédiatement les primes payées par les autres malades, voire décideront à tout moment d’arrêter d’assurer les patients français malades. Cet élargissement mettrait également à mal toute la démarche qui aboutit à un élargissement progressif du droit à l’oubli, en introduisant une profonde rupture d’égalité par rapport aux autres malades souffrant du même type de cancer.
Lors des débats parlementaires, Agnès Buzun s’est a proposé un sous-amendement tendant à imposer la négociation aux assureurs pour les jeunes atteints de cancer au-delà de dix-huit ans, prévoyant que, qu’en l’absence d’évolution du droit à l’oubli pour ces jeunes, celle-ci serait, le cas échéant, imposée par décret.


Rejet de la proposition relative à la formation des praticiens. — L’article 4 de la proposition de loi prévoyait initialement le parcours de développement professionnel continu (DPC) des professionnels de santé en oncologie incluait des actions de formation visant à améliorer la prise en charge des enfants, le contenu de ces actions de formation ayant vocation à être défini par décret. Supprimé par la Commission des affaires sociales, plusieurs tentatives ont été faites par voie d’amendements pour le rétablir. En vain.
Comme le soulignait Agnès Buzun, ministre chargée de la Santé, lors des débats à l’Assemblée nationale, tout repose sur un constat, celui de familles ayant vécu des expériences extrêmement traumatisantes, du fait d’une mauvaise prise en charge. Mais les 31 centres autorisés à prendre en charge les cancers des enfants sont soumis à une autorisation, qui repose sur la formation des professionnels, les bonnes pratiques, les référentiels. Ils sont évalués par INCa ou la Haute autorité de santé (HAS), par l’intermédiaire des questionnaires de satisfaction remplis par les patients. Les professionnels qui interviennent dans ces services sont donc déjà formés et il est malheureusement probable que les parents se soient trouvés confrontés à une incompréhension due au manque d’empathie ou d’écoute, de temps dédié.
L’article 4 tendait ainsi à imposer une formation à des professionnels qui sont déjà formés, mais qui n’appliquent pas les recommandations qu’ils ont reçues. Il faut sans doute instaurer des temps dédiés dans les discussions entre les professionnels lorsqu’ils prennent en charge un malade, au moment du diagnostic, de la rechute, de l’intervention et il serait également nécessaire d’accentuer l’évaluation de ces services autour de la prise en charge de la douleur afin de faire évoluer les pratiques. Il faudra aussi certainement vérifier que ces services disposent bel et bien d’un référentiel douleur connu de l’ensemble des professionnels. Outre le fait que cette proposition ne relève pas de la loi, mais du règlement, elle ne permet pas de poser la bonne question, qui est celle du ton avec lequel les médecins s’adressent aux familles, de leur empathie et apporte une mauvaise réponse à une excellente question. Avis défavorable de la ministre, d’autant que dans le cadre des réflexions sur la réforme des études de médecine, seront proposés des enseignements transversaux pour les internes, dont font partie le traitement de la douleur et les soins palliatifs. « Les professionnels de santé recrutés doivent avoir des moments de formation en commun autour des sujets de l’empathie et de l’écoute ».
Si le mécanisme initialement envisagé n’a donc pas été adopté, l’article 6 de la loi du 8 mars 2019 instaure néanmoins l’obligation pour le gouvernement, de remettre, au plus tard 12 mois suivants la promulgation de la loi, un rapport relatif à la prise en charge de la douleur, en particulier par les centres d'oncologie pédiatrique. Ce rapport devra préciser, notamment, les moyens mis en œuvre pour le dépistage et le traitement de la douleur des enfants dans le cadre des soins qu'ils reçoivent. Il devra dresser un état des lieux de la formation spécifique, initiale et continue, des professionnels de santé qui interviennent en oncologie pédiatrique, ainsi que des centres dédiés à la douleur en France et des effectifs qui s'y consacrent. Il devra aussi étudier l'accès des enfants et des adolescents atteints de cancer à des médicaments et des traitements adaptés et la mise à disposition de formules pédiatriques spécifiques. Enfin, il devra encore étudier l'opportunité de mettre en place un quatrième « plan douleur ».
En outre, la ministre chargée de la Santé s’est engagée à ce que la formation à la douleur, notamment à la douleur pédiatrique, fasse partie des priorités de l’année 2019 dans le cadre du décret annuel relatif à l’orientation des formations prioritaires des professionnels. En vertu de cette priorité d’action, tous les établissements seraient alors obligés de se demander qui ils doivent former. La ministre envisage également que figure dans les évaluations de ces services, notamment celles qui sont réalisées tous les quatre ans par la Haute Autorité de santé, un item spécifique de prise en charge de la douleur, de façon à créer un mécanisme d’amélioration continue des pratiques.
 

3) Mesures en faveur des proches aidants


Congé de présence parentale. — L’article 5 de la loi du 8 mars 2019 modifie les dispositions du Code du travail et du Code de la sécurité sociale fixant le régime légal du congé de présence parentale. Celui-ci est, sans changement, accordé au salarié dont un enfant à charge est atteint notamment d’une maladie d’une particulière gravité, rendant indispensable une présence soutenue et des soins constants (C. trav., art. L. 1225-62).
Jusqu’ici, la durée du congé était au maximum de 310 jours ouvrés (C. trav., art. L. 1225-62), le salarié devant utiliser ces journées (non fractionnables) au cours d’une période initiale définie dans le certificat médical (période égale à la durée prévisible du traitement de l'enfant) et dans la limite maximale de 3 ans (C. trav., art. D. 1225-16). Cette durée initiale devait faire l'objet d'un nouvel examen tous les 6 mois (C. trav., art. D. 1225-17).
Désormais, cette durée initiale peut faire l'objet d'un nouvel examen, non plus « selon une périodicité définie par décret », mais dans les conditions fixées au second alinéa de l’article L. 544-2 du Code de la sécurité sociale (voir infra).
Un nouveau congé de présence parentale peut être accordé en cas de rechute ou de récidive de la pathologie de l'enfant. Tel est également le cas lorsque la gravité de la pathologie de l'enfant au titre de laquelle un premier droit à congé de présence parentale a été ouvert, nécessite toujours une présence soutenue et des soins contraignants (C. trav., art. L. 1225-62, renvoyant not. à CSS, art. L. 544-3).

L’article L. 1225‑65 du Code du travail est également modifié. Jusqu’ici, la durée du congé de présence parentale était prise en compte « pour moitié » pour la détermination des droits que le salarié tient de son ancienneté. Afin de soutenir les aidants familiaux, un amendement parlementaire, adopté en première lecture à l’Assemblée nationale, a été déposé afin que la durée du congé de présence parentale soit prise en compte « en totalité » dans le calcul de l’ancienneté « dans l’entreprise » (L. n° 2019-180, précitée, art. 5, I, 2°).

Allocation journalière de présence parental (AJPP). — Le droit au versement de l’allocation journalière de présence parentale est ouvert pour une période égale à la durée prévisible du traitement de l'enfant. Cette durée prévisible doit désormais être mentionnée dans le certificat médical (CSS, art. L. 544-2). En outre, comme le droit à congé lui-même, la durée initiale du droit à la prestation (pour une période égale à la durée prévisible du traitement de l'enfant) devait faire l’objet d’un nouvel examen « selon une périodicité fixée par décret ». Désormais, lorsque le médecin le prévoit, la durée du droit à la prestation (comme celle du droit à congé d’ailleurs, par renvoi de l’article L. 1225-62 du Code du travail) fait l'objet d'un réexamen à l'échéance qu'il a fixée et qui ne peut être inférieure à six mois, ni supérieure à un an. Dans tous les cas, lorsque la durée prévisible excède un an, elle fait l'objet d'un nouvel examen à cette échéance.
Comme pour le congé lui-même (voir supra), le droit à la prestation peut être ouvert de nouveau, au-delà de la durée maximale initiale de 310 jours sur 3 ans (CSS,art. L. 544-3  et D. 544-1), non seulement, comme précédemment, en cas de rechute ou de récidive, mais aussi lorsque la gravité de la pathologie de l’enfant nécessite toujours une présence soutenue et des soins contraignants (L. n° 2019-180, précitée, art. 5, III).

Enfin, l'article 5, IV de la loi du 8 mars 2019 crée l'article L. 544-10 du Code de la sécurité sociale, aux termes duquel l’organisme débiteur des prestations familiales est tenu d'informer le demandeur ou le bénéficiaire de l'allocation journalière de présence parentale, des critères et conditions d'attribution, ainsi que des modalités de la demande d'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH) et de prestation de compensation du handicap (PCH).
Source : Actualités du droit